jeudi 12 août 2010

Défense du prix : lettre de Vauban à Louvois 17/07/1685


Défense du prix : la lettre de Vauban à Louvois

Comment faire comprendre à un client qui ne jure que par le prix le plus bas et veut absolument choisir le fournisseur le « moins disant » qu’il fait peut-être fausse route ?
En lui rappelant que la politique du prix le plus bas est vouée à l’échec car il n’aura que les matériaux les moins bons, des techniciens peu compétents, etc. Cette mise en garde quand à la dangerosité du prix bas est aussi ancienne que l’histoire du commerce.

En témoigne cette lettre que Vauban (maréchal de France et commissaire général des fortifications, sous Louis XIV) envoya à Louvois (surintendant des bâtiments de France) pour critiquer sa politique de sélection des fournisseurs fondée sur le principe du moins disant. (source : practys-conseil.com)


Belle-Isle-en-Mer, le 17 juillet 1685,


Monseigneur,


Il y a quelques queues d'ouvrage des Années dernières qui ne sont point finies et qui ne finiront point, et tout cela, Monseigneur, par la confusion que causent les fréquents Rabais qui se font dans vos ouvrages, car il est certain que toutes ces ruptures de marché, manquements de parole et renouvellement d'adjudications ne servent qu'à vous attirer comme Entrepreneurs tous les misérables qui ne savent où donner de la tête : les fripons et les ignorants, et à faire fuir tous ceux qui ont de quoi et qui sont capables de conduire une Entreprise.

Je dis plus, qu'elles retardent et renchérissent considérablement les ouvrages qui n'en sont que plus mauvais, car ces Rabais et Bons Marchés tant recherchés sont imaginaires, d'autant qu'il est d'un Entrepreneur qui perd comme d'un homme qui se noie, qui se prend à tout ce qu'il peut ; or, se prendre à tout ce qu'on peut en matière d'Entrepreneur, c'est ne pas payer ses marchands chez qui il prend les matériaux, friponner ce qu'il peut, mal payer les ouvriers qu'il emploie, n'avoir que les plus mauvais parce qu'ils se donnent à meilleur marché que les autres, n'employer que les plus méchants matériaux, chicaner sur toutes choses et toujours crier miséricorde contre celui-ci et celui-là...

En voilà assez, Monseigneur, pour vous faire voir l'imperfection de cette conduite : quittez-la donc et au nom de Dieu, rétablissez la bonne foi, donnez les prix et les ouvrages et ne refusez pas un honnête salaire à un entrepreneur qui s'acquitte de son devoir, ce sera toujours le meilleur marché que vous puissiez trouver.


Quand à moi, Monseigneur, je reste assurément de tout cœur votre très humble et très obéissant serviteur.


Sébastien Le Prestre de Vauban
Maréchal de France
(Archives nationales de Paris).

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